Après des années de travaux qui auront coûté près de 60 millions d'euros, le Carreau du Temple rouvre (bientôt) ses portes. Rendez-vous pris devant ce géant de fer et de verre le 25 avril prochain pour son week-end d'ouverture. Encore un peu de patience et l'occasion de rencontrer en avant-première son directeur. Autrefois à Châlons-en-Champagne auprès des circassiens, Jean-Luc Baillet investit dorénavant le Carreau et son concept pluridisciplinaire privé/public (65 % de fonds privés prévus). Ou le dernier grand chantier culturel de Bertrand Delanoë raconté par celui qui s'affaire chaque jour à le faire naître.
Quels sont les enjeux en matière de spectacle vivant pour le Carreau du Temple ?
Il y a d'abord le désir d'avoir une programmation qui allie le théâtre, la danse, les arts du cirque, les marionnettes, et au-delà. L'équipement a été conçu pour – l'auditorium en premier lieu, mais pas seulement. Le projet, c'est bien d'imaginer que le spectacle puisse justement sortir de la salle, de ne pas le limiter aux espaces normés. Les halles peuvent accueillir de l'événementiel, des projets artistiques et culturels, et de temps en temps du sport. Les studios au sous-sol peuvent aussi accueillir des pratiques artistiques, des salons, de l'événementiel. La réversibilité et la polyvalence s'imposent à tous les espaces.
Et puis c'est aussi un lieu réservé à l'émergence, aux jeunes créateurs et aux talents en devenir. De ce point de vue là, les arts du cirque sont encore dans l'émergence – par rapport au monde du spectacle vivant où le théâtre doit peser plus de 60 %, la danse 20 %. Même si le cirque n'est plus confiné, et qu'il est notamment l'une des vitrines les plus évidentes de la France à l'international (Les Arts Sauts, Zingaro, Royal Deluxe), il reste en France encore minoritaire.
Comment toutes ces disciplines vont-elles cohabiter ?
Ce n'est pas tant les disciplines que les projets. On peut considérer que l'on monte un gradin dans les halles, qu'une répétition publique a lieu au sous-sol, que l'auditorium devienne un espace de recherche et pas uniquement d'accueil du public. Les pratiques ne seront pas délimitées dans un espace, ni la pratique amateur, ni le travail des professionnels (répétition, recherche et diffusion). On pourra par exemple diffuser une ou deux fois le spectacle d'un groupe amateur, ou encore accueillir la répétition d'une compagnie en résidence, son travail de recherche, et son exploitation sous forme de diffusion. Le lieu doit tirer toute la diversité de ce qui fait spectacle.
Bien sûr, on ne va pas faire du sport dans l'auditorium, et de la musique dans un dojo au milieu des tatamis, les espaces ont des fonctions et une opérationnalité évidente, mais je pense qu'il faut mixer. Le succès de ce lieu sera de ne pas saucissonner les trois secteurs qui font l'identité du Carreau du temple (la mode/le design, le sport et les activités culturelles).
Qu'est-ce qui vous a tout de suite séduit dans ce projet de direction ?
Sans hésiter : le lieu. C'est inouï de diriger un espace comme celui-ci. 7 000 m2, soit un des plus beaux marchés haussmanniens de Paris. J'ai toujours été dans les espaces non-conventionnels, je me suis occupé de la rue, je suis passé au cirque. Je n'ai jamais travaillé pour un lieu conventionnel : une salle de spectacle, un espace normé, un musée...
Bien sûr que l'on continue à rentrer au théâtre de la Ville, au Châtelet, au musée d'Art moderne... Mais les lieux qui ont été réhabilité ont, je pense, un supplément d'âme. Et ce lieu a une âme. Il est à la fois petit de l'extérieur, vaste à l'intérieur, très lumineux, fluide et compartimenté. On a un lieu fluide d'urbanité et de déambulation, de nomadisme, on est dedans et dehors, dans un espace fermé mais avec le ciel de Paris à travers les verrières, c'est un lieu exceptionnel. Ca me suffit très largement.
Les Parisiens sont aujourd'hui à la recherche de lieux pluridisciplinaires. Je pense notamment au Centquatre, à la fois galerie d'art, théâtre, et fripe.
Dans un musée, ils veulent une librairie, s'il y a un magasin ils sont contents, s'il y a un resto, ils adorent. Les lieux de pratiques culturelles ne sont plus aussi identifiés qu'avant, où on allait à l'opéra pour montrer sa toilette, pas forcément pour écouter le plateau. La notion de plaisir, de liberté et d'indépendance est à prendre en compte maintenant. Le fait que l'on peut entrer et sortir, que s'il y a un concert ou une expo dans les halles ils ont le loisir de partir, s'ils n'aiment pas. Ils n'ont pas tout un chemin jusqu'au cinquième étage, ni à faire lever toute une rangée pour s'en aller. L'accessibilité et l'aspect non conventionnel font la force du lieu. Et puis le Carreau du Temple est aussi un lieu de promenade, où l'on vient boire un verre, profiter du wifi, et ne rien faire. Flâner, c'est aussi ça l'âme de Paris.