Pour qui ? Les marathoniens
Voir quoi ? Don DeLillo sous ecstasy
Après Roberto Bolaño et Michel Houellebecq, Julien Gosselin s’attaque à l’écrivain américain Don DeLillo. Joueurs, Mao II, Les Noms : trois romans adaptés en trois pièces, visibles séparément (les mardis, mercredis et jeudis soirs), ou en version intégrale de neuf (!) heures, le samedi, aux Ateliers Berthier (la deuxième salle de L’Odéon, dans le 17e).
Dans ce spectacle entièrement filmé et retransmis en direct sur écran géant, Gosselin ne recule devant aucun cliché du théâtre contemporain : format avignonesque, acteurs à poil qui se roulent par terre en hurlant dans une langue imaginaire, musique assourdissante, etc. Seulement, cette fausse trilogie nous rappelle qu’au service d’un réel propos, les gestes théâtraux les plus outranciers peuvent être pertinents.
Là où la provocation relève souvent de la pose, celle de Gosselin bouleverse par sa sincérité. Son admiration pour les textes de DeLillo transpire dans ce spectacle, qui leur offre une caisse de résonance inédite. Dans la bouche des acteurs, en surimpression sur les écrans ou écrasés par la musique, les mots débordent et nous transportent. « Notre offrande est le langage » sont d’ailleurs les derniers prononcés sur scène. Mais le spectacle se poursuit après l’ultime phrase, dans une transe hypnotique.
Ce double final illustre bien le refus du metteur en scène de choisir entre texte et performance. Et c’est ce qui rend son théâtre si intense. Les mots n’y constituent ni un archaïsme —dont il faudrait s’affranchir au profit d’une pure expression physique—, ni un corpus figé —qu’il conviendrait de protéger—, mais bien une matière organique et mouvante, féconde. La littérature est vivante, elle est énervée ; quand on voudrait la ranger dans une bibliothèque, Gosselin lui tend un micro, et des enceintes surpuissantes. Merci à lui.