L'histoire qui ouvre 'Le Maniement des larmes' est aujourd'hui presque oubliée. Recouverte par d'autres scandales et par le retour des nationalismes en France et dans le reste de l'Europe. Le 8 mai 2002, à Karachi au Pakistan, onze employés de la Direction des Constructions Navales de Cherbourg périssaient dans un attentat.
Conséquence de l'arrêt du paiement par la France de commissions occultes à des intermédiaires pakistanais, qui auraient permis le financement de la campagne de Balladur en 1995 ? En brillant lançeur d'alerte, Nicolas Lambert pose la question mais se garde bien de donner la réponse.
Triste terroir
Après 'Elf, la pompe Afrique' (2004) consacré au pétrole et 'Avenir radieux, une fission française' (2011) à l'histoire du nucléaire français, il clôt son triptyque avec une enquête sur la troisième source de richesse de la France : l'armement. Accompagné d'un musicien interprétant la partition composée par Eric Chalan, et de Frédéric Evrard ou Erwan Temple au son, à la lumière et à la vidéo, Nicolas Lambert opère tout en sobriété. Au centre du plateau presque nu, une table encombrée d'ordinateurs évoque les dispositifs d'écoute des services secrets.
Régulièrement, Nicolas Lambert y rejoint ses deux camarades et, casque sur la tête, il se met dans la peau d'un policier chargé d'intercepter des conversations secrètes. Celles de l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine avec diverses personnalités politiques. En incarnant aussi bien cet intermédiaire dans plusieurs contrats d'armement, que Nicolas Sarkozy, Edouard Balladur ou Brice Hortefeux, Nicolas Lambert met à jour des relations cachées au grand public.
A priori opposés, le langage politique et celui, rustre et laconique, des hommes de l'ombre, se mêlent de manière très éclairante dans 'Le Maniement des larmes'. Non sans effets comiques.
Théâtre de résistance
« Ne hais pas les médias, deviens les médias. » Ainsi que le rappelle Karl Laske, journaliste à Mediapart, dans sa préface au 'Maniement des larmes' (éditions de l'Echappée), ce mot d'ordre des réseaux d'information altermondialistes est aussi une des devises de la compagnie Un Pas de Côté de Nicolas Lambert. L'auteur, comédien et metteur en scène ne se prive pas en effet de joindre à sa critique politique une satire des médias dominants. Sans ajouter un seul commentaire aux extraits d'émissions radio qu'il interprète avec la même justesse que les interventions publiques des chefs d'Etat, les procès-verbaux d'écoute et les nombreuses autres sources qui composent son spectacle. Théâtre de documents et d'action, le travail de Nicolas Lambert est un puissant appel à la reconquête d'une démocratie qui nous échappe.