Voir quoi ? Un film-spectacle qui puise dans la fiction odysséenne pour mieux faire surgir le réel chaotique
Pourquoi s’y rendre ? Pour être ensemble, malgré la distance
En Palestine, au Liban, en Grèce, en Afrique du Sud et au Brésil, Christiane Jatahy est allée, caméra au poing, à la rencontre de réfugiés, acteurs pour la plupart, ayant joué leur vie pour quitter leur pays – ou pour le retrouver. A défaut de pouvoir rendre leurs identités perdues, la metteuse en scène d’origine brésilienne leur offre un masque, celui d’Ulysse, et leur prête des aventures, avec le Cyclope ou Circé. Dans la salle de spectacle, on retrouve ainsi ces hommes et femmes sur un écran géant, se prenant au jeu de l’Odyssée et s’appropriant le “je” d’Ulysse. Isolés ou en communauté à l’occasion de fêtes et banquets, ils racontent l’histoire d’Ulysse pour ne pas avoir à raconter la leur, souffrant de sans cesse devoir la répéter, la raviver. La réalité se teinte de fiction et de poésie, pour réapparaître plus vive, plus douloureuse, au fil de la représentation.
Vide d’acteurs, la scène semble d’abord n’avoir rien de théâtral. L’écran de cinéma s’impose comme une barrière infranchissable entre les corps des acteurs en exil et ceux des spectateurs. Peu à peu, pourtant, c’est bien “le présent qui déborde” de l’écran vers la salle de théâtre : le présent de la représentation réactivé par la présence d’acteurs, chanteurs et réfugiés dans les rangées du public. Grâce à un dispositif complexe et vertueux, un dialogue s’engage alors entre ceux qui habitent l’écran de cinéma et ceux qui habitent le théâtre, qu’ils soient acteurs ou spectateurs. La voix des réfugiés se fait plus vive, prend corps et, petit à petit, se désolidarise de celle d’Ulysse pour parler pleinement du présent. Présent, notamment, des dérives du pouvoir de Bolsonaro au Brésil et de leur impact sur la forêt amazonienne. Présent brûlant.