L'une vit en couple, aime la danse et les rencontres ; l'autre est rêveuse et célibataire, souvent mal à l'aise avec sa famille et ses amis. Comme la plupart des personnages d'Éric Rohmer, Louise et Delphine sont pourtant animées par un même désir d'amour et de liberté. Par une même soif d'absolu que leur quotidien parisien ne parvient pas à combler. En adaptant pour la scène 'Les Nuits de la Pleine Lune' (1984) et 'Le Rayon vert' (1986), Thomas Quillardet met en avant cette utopie commune ainsi que la qualité littéraire et la finesse psychologique de l'oeuvre du cinéaste de la Nouvelle Vague. En s'éloignant du fameux « jouer faux » caractéristique des films de Rohmer, le metteur en scène imagine dans 'Où les cœurs s'éprennent' un langage scénique simple et efficace.
Variations autour de la solitude
Recouvert d'une immense feuille de papier blanc sur laquelle sont posés un rocher et une table, le plateau est pour les huit comédiens un terrain presque vierge où ils jouent à vue. Régulièrement, ils en découpent un morceau pour figurer un mouchoir, un lit ou un journal, tout en incarnant les différents protagonistes du diptyque. Autour de Marie Rémond (Delphine) puis d'Anne-Laure Tondu (Louise) dans les rôles principaux, ils déploient ainsi une partition mi-naturaliste mi-onirique.
Un jeu dont l'oscillation traduit les paradoxes des deux héroïnes. Leur force dans le refus des conventions sociales et leur difficulté à s'inventer une voie qui leur convient. Sur scène, la solitude de Louise et de Delphine est aussi bien celle de la jeunesse des années 1980, encore marquée par le désir de réinventer l'amour hérité de Mai 68, que celle de la génération Y. Sous l'apparente légèreté des deux contes initiatiques mis bout à bout, Thomas Quillardet dit le poids de l'humaine condition. La nécessité de réenchanter le réel, quel qu'il soit.
Entre ciel et terre
Louise et Delphine ont beau vivre dans un milieu urbain, elles se retrouvent toutes deux plongées dans un univers naturel à la limite du fantastique. Fidèle à l'économie de moyens caractéristique du cinéma de la Nouvelle Vague, Thomas Quillardet ne cherche à représenter ni la nuit de pleine lune pendant laquelle Louise prend un amant, ni le phénomène atmosphérique qui accompagne la renaissance de Delphine. Sa rencontre avec un homme qu'elle semble destinée à aimer. Entre leur rocher propice au rêve et la table où ils mangent et se livrent à toutes sortes d'actions banales, les comédiens dessinent un espace entre ciel et terre. Surtout dans la seconde partie, davantage éloignée du scénario d'origine et portée par un langage de plateau plus riche et inventif que la première.