Vendredi, le stade Roland-Garros fera son baptême de l’humour. Un événement signé Fary, le premier à faire entrer l’art (sous n’importe quelle forme) dans cette arène mythique. Pour lui aussi, c’est une première : s’il a déjà rempli (trois soirs de suite) le Dôme de Paris, blindé Bercy, et séduit le public outre-Atlantique, outre-mer et en Afrique, la terre battue lui était encore inconnue.
Ce show dans ce lieu prestigieux, à rebours de ses scènes habituelles, c’est une manière pour lui de montrer que l’humour n’est pas qu’un jeu. Comme les coups droits de Nadal, les punchlines gagnantes se travaillent longuement. Derrière l’apparente spontanéité de ses vannes, il y a un “travail d'orfèvre, un artisanat”, que Fary revendique. “Les humoristes ne sont pas pris au sérieux comme les autres. On continue de nous voir comme des rigolos, des amuseurs. Ce qui n’est pas forcément péjoratif. Mais un amuseur, on le voit moins comme un artiste : on part du principe que c’est sa nature.” Il pointe le paradoxe de l’écriture d’un spectacle d’humour : “On travaille à camoufler son travail. Si on sent trop le travail derrière, ça perd sa magie. A la fin du spectacle, il y a encore des gens qui viennent me demander si c’était écrit…”
Depuis les tribunes où l’on réalise l’interview, on voit passer des petits groupes de curieux venus visiter ce site mythique de l’histoire du sport en France, mais qui réussit si peu aux Français. Avant Fary vendredi, le dernier à avoir triomphé ici s’appelle Yannick Noah. C’était en 1983. “Tout un symbole” pour le comédien, “parce qu’il représente de façon incontestable la France, sans être tout à fait la France : tout se joue dans cette contradiction, qui dit beaucoup de notre Histoire.” Un lieu qui symbolise aussi une forme d’élitisme, avec son branding Rolex et ses gradins monochromes remplis de cheveux de riches. Mais il ne s’agit pas d’être “revanchard”. Vendredi soir, sur le court central, Fary veut parler d’amour.
“J’suis pas drôle, j’suis juste insolent !”
Pas de “Salut les Blancs” au programme donc, mais une plongée dans l’intimité de Fary, toujours avec une dose de provoc. Dans Aime-moi si tu peux, il aborde notamment le couple à travers le prisme de l’infidélité, un sujet qu’il dit bien connaître et qui continue de heurter les sensibilités : “En tournée, j’ai senti un vrai décalage dans la réception du spectacle au moment du passage sur l’infidélité : à Montréal, on ne blague pas du tout avec ça ; à Kinshasa, c’était un peu tendu. Pour eux, c’était pas drôle ; s’ils riaient, c’était un rire amer. Moi, ça me passionne. Sentir le malaise, et pouvoir en parler, c’est propice à la comédie.” Si ça fait rire, tant mieux, sinon, tant pis : “De toute façon, à la base, j’suis pas drôle, j’suis juste insolent !” (Rire.)
Qu’on l’accuse d’être provocateur, hautain ou mégalo, Fary s’en bat un peu la barbe. En vérité, il est loin de se sentir au-dessus du lot – et il en fait presque un complexe. “C’est un gros travail sur moi d’essayer d’accepter qu’on puisse ne pas me trouver marrant”, explique-t-il. “Je traîne avec des gens qui sont humoristes mais aussi très très marrants dans la vie de tous les jours, et qui me font me sentir beaucoup moins drôle qu’eux. Ce sentiment de devoir faire rire en permanence, c’est une vraie pression, que je ressens au quotidien, mais aussi en interview, ou dans n’importe quel événement public.”
Une pression qui le pousse à l’action. Parce qu’il possède son propre comedy club (Madame Sarfati), fréquenté par des comédiens qu’il admire, Fary ne peut pas se permettre de mettre sa prose en pause : “Je joue là-bas, à côté de mecs qui sont certes moins connus mais qui font beaucoup plus de plateaux que moi.” Forcément, le niveau est élevé, et la compétition se transforme en émulation : “Chez Madame Sarfati, on a des humoristes géniaux comme Paul Dechavanne, Louis Dubourg ou Merwane Benlazar qui écrivent en permanence ; donc ça m’angoisse de monter sur scène sans avoir de nouvelles blagues. Alors j’écris beaucoup entre les plateaux ; je note quelques idées et une fois sur scène, le dos au mur, je n’ai pas d’autre choix que d’être drôle”. Ce mélange de notes et d’impro est ensuite méticuleusement peaufiné puis rodé, jusqu’à millimétrer chaque souffle et chaque silence dans un aller-retour permanent entre l’écriture et la scène.
Si les blagues fusent sur les planches, l’humoriste confesse être beaucoup plus sur la réserve au quotidien : “Je n’arrive à faire des blagues que quand je me sens dans un terrain très familier ; je ne suis pas tout de suite à l’aise n’importe où, j’ai besoin de temps.” Chez lui, comme chez beaucoup d’autres, l’humour peut surgir pour esquiver un conflit, ou pour pallier une difficulté à communiquer. “En amour, et dans ma relation, il y a plein de fois où j’ai envie de dire des choses sans y arriver.” Ses spectacles peuvent alors devenir une manière privilégiée d’exprimer ce qu’il ressent, a posteriori.
Sur ses sentiments sur les récents événements, déclenchés par la mort de Nahel, il souhaite aussi prendre son temps, même si le sujet a pris beaucoup de place dans les coulisses du comedy club et poussé les humoristes à dégainer leur stylo. “On m’a demandé de prendre la parole sur ce sujet mais je ne suis pas à l’aise avec l’idée d’en parler de façon sérieuse pour l’instant. Si c’est plus facile de faire des blagues, c’est parce que je suis trop choqué pour en parler autrement. Quand ça se calmera, je pourrai être sérieux, et c’est écrire des blagues sur le sujet qui deviendra difficile. En rire maintenant, c’est une manière de fuir un petit peu. Mais la question, c’est : est-ce que ça va être utile, pertinent ? Est-ce que ça peut faire partie du débat ?"
Après Roland-Garros, Fary sera en tournée dans toute la France avec son spectacle Aime-moi si tu peux