L'actrice fétiche de Pedro Almodavar et muse de Jean Paul Gaultier nous livre ses meilleures adresses à Paris.
C’est l’une des chicas les plus célèbres des films d’Almodovar. C'est aussi la muse de Jean Paul Gaultier... Fantasque, badass, intensément libre, toujours à contre-courant, avec cet accent à couper au couteau, reconnaissable entre mille... Du 21 au 31 mars prochains, Rossy de Palma revient à Paris, en guest star magistrale du Fashion Freak Show, retraçant l’épopée Couture de l'enfant terrible de la mode à travers une série de tableaux survoltés.
Déjà présente en vidéo dans le spectacle d'origine – elle incarne l'institutrice psychorigide du jeune Jean-Paul, puni pour avoir dessiné en cours – la géniale ibérique hystérique s'incruste sur scène, enfile plusieurs costumes et pimente le show. Tenues grandioses, beau bizarre, éventails géants... No spoiler, promis ! Juste un petit avant-goût de ce qui vous attend aux Folies Bergères. Pour rappel, le spectacle se joue jusqu'au 16 juin à Paris, avant de s’exporter à l'international.
« La mode est un art vrai. C'est une recherche pour se réinterpréter constamment » avez-vous dit un jour.
Oui ! Parce que qu’il faut se servir de ça pour transcender la vie. Parce c’est un langage finalement. Et puis, il y a un coté ludique, aussi, dans la mode...
C’est ça que vous avez en commun avec Jean-Paul Gaultier ?
Pour moi, c’est de l’art. De l’art absolu. Jean-Paul, qui a réinventé le prêt-à-porter, jamais en manque d’inspiration ou de talent, a toujours été curieux de la rue, de la vibration, des gens, ce qu’ils mettaient, ne mettaient pas… Ce que j’aime le plus chez lui, c’est que c’est un petit enfant. Et moi aussi. Et surtout, il a cette curiosité inouïe qui ne le quitte jamais. Cet état d’émerveillement artistique et créatif, cette étincelle dans l’œil… C’est aussi un artiste qui ne se prend pas au sérieux, il n’est même pas conscient de son génie ! Ça le rend encore plus génial. C’est comme un homme beau qui ne sait pas qu’il est beau : il est doublement beau.
D’où vous vient votre passion pour la mode ?
J’avais six ans. Ma tante maternelle est venue en vacances à Majorque, où je suis née, et m’a dit « tiens on va faire une robe à ta poupée ». Elle a pris un vieux bout de drap et l’a coupé, en trapèze. Mais moi, d’un coup, j’ai eu comme une révélation : une chose unidimensionnelle pouvait devenir tridimensionnelle. J’ai tout compris ce jour-là !
On connaît effectivement l’actrice, moins la créatrice de mode…
A douze ans, j’allais au marché aux puces de Palma de Majorque tous les samedis pour vendre mes créations, que je cousais avec de la viscose fleurie. Je faisais des pantalons, des blouses, je me mettais à côté des gitanes qui vendaient des fripes… J’ai beaucoup vendu ! A l’époque, on était un peu perdus : il n’y avait ni Zara ni H&M. Il y avait soit des pièces très chères, soit rien. J’ai encore mon atelier à la maison, je n’ai plus trop le temps, mais je crée encore beaucoup de choses. Je fais des chapeaux, des robes de scène… Le point, le crochet, la broderie, je sais tout faire !
Et Almodovar aussi a su voir ça en vous quand il vous a croisée ?
Il y a cette légende comme quoi Pedro m’aurait découverte dans un bar. C’est pas vrai ! C’est grâce à mon groupe de musique, Peor Impossible (littéralement « le pire impossible », pop punk des années 80, qui a eu son petit moment de gloire, une des chansons a même été tube de l’été en Espagne, NDLR). On avait décidé de s’appeler comme ça, parce que si les gens venaient aux concerts et qu’ils n’aimaient pas, on leur disait qu’ils ne pouvaient pas se plaindre, parce qu’on les avaient prévenus ! (Rires). Le groupe était né à Palma de Mallorca, mais on avait bougé à Madrid. Pedro venait à nos concerts. Je faisais moi-même tous les costumes de mon groupe. Il fallait se débrouiller. Une fois, on a perdu une valise, et on avait un concert le soir même. Chaque concert avait une thématique et cette fois là, c’était l’Afrique. Alors on a pris les draps de l’hôtel, on a bricolé un truc tribal, et on est sortis comme ça, habillés avec les draps de l’hôtel. Je ne te raconte pas ! A côté, je travaillais dans un bar de Madrid où traînait toute la Movida (période post-franquiste d’intense liberté créative, NDLR). Peintres, metteurs en scène, écrivains, musiciens… Comme on n’avait pas d’argent, j’étais maligne : je bossais au même endroit où je m’éclatais… Sauf que les autres finissaient bourrés, et moi j’avais mon salaire déjà assuré le lendemain pour pouvoir manger !
C’est vrai que votre style ne passait pas inaperçu, déjà à l’époque !
Pedro fréquentait ce bar, c’était déjà une légende, underground, mais une légende. Moi j’avais vingt ans, un corps magnifique, je portais des robes folles que je me faisais moi-même, ultra décolletées… Je me rappelle, il m’a demandé où il pouvait acheter des robes comme ça pour son prochain film et je lui ai dit « c’est moi qui le les ai faites ». « Et les boucles d’oreille ? » « Pareil ! » Et c’est là qu’il m’a demandé « tu ne voudrais pas jouer dans mon prochain film ? » D’ailleurs Carmen (Maura, NDLR) dans la Loi du Désir, elle porte plein de boucles d’oreille que je m’étais faites. Pedro me les a volées toutes pour son musée, il faut que tu le dises ! Parce qu’après, j’ai voulu récupérer tout ça, il m’a dit « impossible, c’est pour le musée » ! (rires)
Pourquoi, aujourd’hui encore Rossy, vous tenez toujours à créer de vos mains ?
Travailler avec tes mains, c’est magnifique. Comme je dis souvent, avant d’être artiste, je suis poète, et avant d’être poète, je suis une artisane. L’artisane, c’est celle qui travaille avec les mains. Pour moi c’est très important de faire des choses soi-même, de produire de ses mains. L’art nous aide à nous résilier. C’est thérapeutique pour nous tous, pour celui qui le fait, pour celui qui le reçoit… Quand j’étais petite, je me demandais constamment « mais qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur des choses ? » J’ouvrais, je démontais mes jouets, je voyais qu’il n’y avait rien à l’intérieur des choses. Il y avait toujours du vide. Ça m’obsédait. Mon père me disait d’ailleurs « je ne t’achète plus de poupées parce que tu les casses ! » Il y a souvent rien. C’est pour ça qu’il faut faire. Je dis souvent que la vie, c’est comme un oignon. On enlève chaque couche l’une après l’autre, et après que reste-t-il ? Rien. Rien que l’humidité des larmes que tu as versées pendant que tu l’épluchais.