Pour son arrivée à la tête de la Colline, Wajdi Mouawad reprend 'Seuls' : un solo intime et puissant porté par une scénographie magnifique.
Il se présente sur scène en caleçon noir, seul face au public, les pieds campés dans le sol. « Je tiens à vous remercier de me donner la parole. Elle me permet d’exposer mon point de vue alors que la question de notre capacité à vivre ensemble et de nous accommoder de nos différences se pose avec autant de complexité. Qui sommes-nous ? Et qui croyons-nous être ? »
Harwan, 35 ans, dans sa chambre dépouillée, tente de finir sa thèse sur le metteur en scène québécois Robert Lepage ; Wajdi Mouawad, 48 ans, nouveau directeur du théâtre de la Colline vient se présenter – lui et sa vision du théâtre – au public. Si Harwan n’est pas entièrement Wajdi, cette pièce, mise en scène et jouée par le metteur en scène, est son œuvre la plus intime, première d’un cycle de créations sur chacun des membres de la famille (viendront ensuite, 'Sœurs', 'Frères', 'Père' et 'Mère'). Seul sur son lit, sur le sol, devant son ordinateur, assis, debout, allongé, Harwan écoute de la musique orientale, appelle sa sœur Layla et son père, lui promet d‘aller déjeuner chez lui le dimanche. Son ombre, hologramme nébuleux, se détache de lui, saute par la fenêtre, lui donne des coups de couteau, le secoue, montrant les facettes émotives du personnage, qui se manifestent hors des mots.
Le déjeuner n’aura jamais lieu, la faute à la mort d’un de ses professeurs d’université, la nécessité de rendre sa thèse plus tôt, et puis le coma du père. Devant son lit d’hôpital, Harwan va parler, de l’exil, des souvenirs de son père : sa jeunesse heureuse, ses clients, Beyrouth, le Caire, la Méditerranée. De ses regrets aussi, d'avoir eu des enfants, ce qui l'a obligé à exiler sa famille au Québec, regrets qui forment pour Harwan une boule de non-dits, pour lui, né au Liban, exilé et pourtant coupable de ne pas avoir vécu la guerre.
Harwan se souvient qu’il rêvait enfant d’être une étoile filante, puis océanographe, avant d’espérer aujourd’hui à 35 ans être nommé professeur d’université. « A partir de quand me suis-je contenté de petits bonheurs ? De bonheurs médiocres ? »
Wajdi Mouawad raconte que cette pièce a été l’une des plus compliquées à écrire : « 'Seuls' ne semblait accepter que les mots du quotidien. Condamnés à leur banalité, ils m’auront fait marcher sur des routes qui terrorisaient tant elles me semblaient ennuyeuses… » Loin de l’ennui, ce solo porté par son auteur propose un voyage émotif terriblement puissant où les doutes de la vie de tous les jours (« Comment on fait pour voir si on est en train de rater sa vie ? ») ne peuvent que résonner en écho d'une douleur indéracinable : celle de l’exil.