À quoi ressemble une croisière sur le Nil (quand Poirot n’est pas sur le bateau) ?

En ce début d’année 2025, le Nil est un long fleuve tranquille (le plus long du monde, juste après l’Amazone). Et non moins spectaculaire – à condition de ne pas se fourrer dans n’importe quelle galère. Pour profiter pleinement du fleuve sacré, exit les paquebots bondés et autres immeubles flottants. Pour votre voyage, embarquez plutôt à bord d’une des rares dahabiehs (ou répliques de) en activité : des bateaux à voile traditionnels dont les courbes rappellent celles de la barque solaire de Khéops (vieille de plus de 4 500 ans). De notre côté, on a tenté l’expérience Lazuli, compagnie fondée par Wally Aziz, ancien guide passionné, qui possède la flotte de dahabiehs la plus importante du Nil et opère depuis plus de vingt ans sur le fleuve. Vestiges millénaires, nature luxuriante, momies, billard et jacuzzi : on vous dit tout ce qu’Agatha Christie ne vous a pas dit.

24h à Louxor

Arrivée à Louxor. Avant d’embarquer sur votre dahabieh (le départ de la croisière est prévu à Esna, à une cinquantaine de kilomètres de là), il est impératif de consacrer un minimum de 24 h à la ville de la Vallée des Rois. Pour visiter, d’abord, quelques-unes des plus de 60 tombes millénaires où sommeillèrent les pharaons du dernier millénaire avant J.-C. (un pass permet d’en visiter trois, afin d’en avoir un bon aperçu). Mais aussi le sublime temple de Karnak, à visiter dès l’ouverture (7 h) pour embrasser pleinement son gigantisme. Le voyage commence ici, au cœur d’une forêt de pylônes protégée par une armée de béliers, forme sacrée du dieu Amon, à qui le temple est (en partie) dédié.

Pour arranger cette étape, Lazuli propose des packages en partenariat avec des hôtels, dont le mythique Winter Palace, idéalement situé à deux pas du temple de Louxor (où se promener à l’envi au coucher du soleil). Autre possibilité : réserver de votre côté une ou deux nuitées dans le sublime hôtel Al Moudira, un autre palais plus excentré mais divinement aménagé au sein d’une propriété de 8 hectares. Un restaurant à Louxor ? Sofra, pour son cadre hors du temps et ses plats traditionnels (très) généreux.

La vie de bateau

Au départ de la trépidante ville d’Esna, notre dahabieh est l’une des plus grandes de la flotte Lazuli, bien qu’elle ne possède que dix cabines (dont deux avec vue panoramique sur le Nil). Les chambres sont intimistes, sobres et fonctionnelles. Sur le pont, aménagé avec goût, tous les passagers s'attellent dès le lever du jour à la contemplation et au farniente. Jamais on n’aura autant aimé regarder le paysage défiler. Tracté par un bateau discret, le voilier fend le fleuve sans jamais en rompre le calme. Seules les bulles du bain à remous et les boules du billard (à disposition de tous sur le pont) font parfois concurrence au silence.

Dans une Égypte constituée à 97 % de désert (oui, oui), le fleuve est une véritable oasis sertie de plantes de papyrus, et sa vallée concentre la quasi-totalité de la vie urbaine et agricole du pays – soit la vie tout court. Aussi, juste derrière la tranquille et profuse ligne verte de palmiers dattiers qu’on observe depuis le bateau, on découvre un paysage bouillonnant, surréaliste et bigarré où s’agitent autant d’ânes trop trognons (jusqu’à ce qu’ils vous donnent un coup de sabot, même si celui qu’on s’est pris était bien mérité) que de Chevrolet tunées.

La journée commence généralement tôt avec une excursion, pour profiter des sites presque vides. Les sorties peuvent varier en fonction des crues du Nil et de vos envies (les dahabiehs peuvent être entièrement privatisées, avec des programmes adaptés), et sont variées : virée en barque avec des pêcheurs locaux, visites de temples et tombeaux (Philae, Kom Ombo…), exploration d’îles, villages et sites naturels… Le (petit) groupe est toujours accompagné d’un guide, qui facilite chaque visite et les transforme en histoires. Il nous apprend comment le temple de Philae, destiné à Isis, la déesse de l’amour, allait être totalement englouti par les eaux du Nil avant d’être sauvé pierre par pierre et déplacé sur l’île voisine au siècle dernier. Ou comment le pénis d’Osiris (dieu de la fertilité, voyez comme c’est cocasse) a mystérieusement disparu après que son frère, Seth, l’a tué et découpé en 14 morceaux. D’après la légende, un poisson du Nil en a fait son souper, mais on recommande de garder l'œil ouvert pour tout objet flottant non identifié.

Sans transition : les passagers mangent petits-déjeuners, déjeuners (toujours végétariens) et dîners à une même table, sur le pont. Deux mots d’ordre : échange (on socialise volontiers autour des grands plats mijotés) et profusion. On découvre avec plaisir et frénésie le foul (plat de fèves typique, succulent) ou le ragoût de gombo, assorti de riz ou de koshari (mélange de riz, lentilles, pâtes et pois chiches). Un soir, un barbecue s’improvise sous des tentes, à terre, pour un shawarma minute aux petits oignons (littéralement), qui se conclura par une sorte de boum inopinée, rythmée par les chants de l’équipage. D’autres fois, le cuisinier s’essaye à des plats occidentaux – moins convaincants.

Crocodiles & chill

Hauts les cœurs : il peut arriver que le Wi-Fi du bateau boude Netflix (n’hésitez pas à vous équiper d’une e-sim en amont du voyage). Qu’à cela ne tienne, vous vous brancherez plutôt en mode "crocodiles & chill". Si l’espèce a disparu du Nil après en avoir été chassée au siècle dernier, vous serez ravis (ou inquiets ?) d’apprendre qu’ils sont encore des dizaines de milliers à barboter dans l’immense lac Nasser. 30 000, selon de récentes estimations. Pouvant atteindre jusqu’à 6 mètres de long. Spoiler : le lac artificiel, alimenté par le Nil à la frontière entre l’Égypte et le Soudan, est une destination clé de notre dahabieh.

Avant d’y arriver, passage à Kom Ombo, au temple du dieu crocodile, Sobek, et du dieu faucon, Haroëris. Symbole de force et de fertilité, le crocodile y fut vénéré pendant près de trois millénaires, dès 2 500 avant J.-C. Sous le temple, le Musée du Crocodile présente même une ribambelle de crocodiles sacrés momifiés… Chez les Nubiens, encore présents sur cette partie du Nil, les crocodiles – comme toutes les créatures du fleuve – étaient considérés comme des anges protecteurs. Certains continuent même de les apprivoiser...

Une fois à Assouan, on quitte notre dahabieh pour rejoindre un safari boat de la flotte Lazuli sur le lac Nasser. Après une courte navigation, on s’arrête sur une île déserte paradisiaque. Là, derrière une dune de sable chaud, on tombe nez à nez avec de drôles de traces de pas sur le côté… Des traces (Google Images en est témoin) de crocodiles ! Sobek soit loué, l’animal ne s’est pas présenté. Mais on ne sait pas encore si c’est ce qu’on va raconter.

Infos pratiques

Prévoir : une carte eSIM pour profiter de la 4G en Égypte (vous pouvez aussi acheter une carte SIM à votre arrivée à l’aéroport, mais les eSIM sont généralement plus avantageuses) ; une petite trousse à pharmacie pour prévenir ou soigner d’éventuels bobos (grippe intestinale ou coups de sabot) ; du cash (livres égyptiennes ou euros, acceptés presque partout) pour les souvenirs et les pourboires destinés à l’équipage sur le bateau ; des vêtements chauds pour les soirées, fraîches (autour de 15 degrés) en cette période de l’année.

À bord : les dahabiehs de la flotte Lazuli possèdent entre 5 et 10 cabines, avec lits simples ou lits doubles, toutes équipées de salles de bain privatives. Les savons et shampoings à disposition sont fabriqués à partir d’ingrédients naturels par la compagnie.

Prix : croisière Lazuli à partir de 2 500 € par personne, tout compris (sauf billets d’avion).

À lire aussi : Les meilleurs plans à faire à Marrakech