Le Festival de Cannes, vous dites-vous sans doute, c'est le règne ultime de la paillette cokée H24, la loterie aux bimbos intersidérales, le carnaval des journaleux snobs et des producteurs libidineux... Et certes, ce n'est pas complètement faux. D'ailleurs, il est parfois un peu déstabilisant de sortir d'un film d'Ulrich Seidl ou des frères Dardenne pour se retrouver nez-à-nez avec des robes de soirées qui coûtent dix-sept fois votre salaire mensuel... Pourtant, Cannes, ce n'est pas seulement ce glamour d'opérette, ces yachts de luxe, des soirées de jet-setters pétés au champagne gratos et ces petits ragots mondains dont les médias mainstream raffolent. Car c'est aussi, et surtout, l'une des principales vitrines du cinéma d'auteur contemporain. Pas la seule, certes. Mais certainement l'une des plus prestigieuses.
Sans vouloir refaire le match avant qu'il ait eu lieu (ce qui pourrait tout de même être marrant, remarquez), que peut-on donc dire, a priori, de cette sélection 2014 ? D'abord, que la compétition fait sans surprise une nouvelle fois la part belle aux abonnés de la Croisette : des Dardenne à Ken Loach, en passant par Bertrand Bonello, Naomi Kawase ou David Cronenberg. Nihil novi sub sole, donc ? Heureusement, pas tout à fait. Car il faut au moins noter l'arrivée de deux jeunes réalisateurs dans la compétition : l'ultra-productif Québécois Xavier Dolan, 25 ans (jusque-là abonné à la sélection Un Certain Regard), et l'Italienne Alice Rohrwacher, 32 ans, dont le précédent et premier long métrage, 'Corpo Celeste', fut présenté en 2011 à la Quinzaine des réalisateurs. En compétition dès son deuxième film, voilà qui a de la gueule ! Mais surtout, il n'est pas impossible que le plus « jeune » cinéma soit paradoxalement représenté, cette année, par le doyen de la sélection. Eh ouais, vous l'aurez compris, on parle bien de l'incomparable Jean-Luc Godard.
Assez grosse surprise, en effet, de retrouver JLG en compétition officielle, avec cet 'Adieu au langage' qu'il présente lui-même comme son ultime film - ce qui, rien que d'y penser, nous fend déjà le cœur (sans rire). Présent à Cannes au cours des années 1980 et 90 avec 'Sauve qui peut (la vie)', 'Détective' ou 'Eloge de l'amour' (son dernier long métrage en compétition, il y a treize ans), Godard a sensiblement évolué depuis, passant d'abord au numérique, désormais à la 3D, pour des essais filmiques où l'ésotérisme cinéphile le dispute à une grandiloquence sombre, crépusculaire et politique. Son précédent long métrage, 'Film Socialisme', oscillant entre peinture sur carte SD, copiés-collés oraculaires et séquences tournées au téléphone portable, avait ainsi tout du cinéma à venir, non encore éclos, entre bidouillage YouTube et création d'un nouveau langage. Auquel Godard s'apprête à dire adieu, donc. Avec un chien qui parle, paraît-il. Si cette édition 2014 promet un événement, c'est sans doute bien celui-ci.
Moins mythiques et hiératiques, mais certainement capables de nous éblouir ou nous émouvoir, les autres films en lice donnent l'impression d'une compétition assez ouverte, où l'on attend évidemment le nouveau des frères Dardenne (déjà doublement palmés, en 1999 et 2005), 'Deux jours, une nuit', avec Marion Cotillard en employée qui n'a qu'un week-end pour convaincre ses collègues de renoncer à leurs bonus afin qu'elle puisse conserver son emploi. Toujours côté français, on lorgnera également du côté du 'Saint Laurent' de Bertrand Bonello - il paraît que Pierre Bergé enrage déjà - ou vers Olivier Assayas sur les hauteurs du lac de 'Sils Maria', avec Kristen Stewart, Chloë Grace Moretz et Juliette Binoche. Enfin, notons le surprenant nouveau projet de Michel Hazanavicius, 'The Search', film-fleuve sur le thème de l'enfance et de la guerre en Tchétchénie. Assez loin de 'The Artist' et 'La Classe américaine', quoi.
Côté anglo-saxon, les vétérans du cinéma social britannique Mike Leigh (avec 'Mr. Turner', sur les dernières années du peintre) et Ken Loach ('Jimmy's Hall') seront également de la partie, tandis que Tommy Lee Jones représentera le cinéma américain avec un nouveau western (what else ?), 'The Homesman', près de dix ans après son très réussi 'Trois Enterrements'. Autre filon US : le sport, avec 'Foxcatcher' de Bennett Miller, qui s'attaque à la lutte après avoir (presque) réussi à nous faire aimer le base-ball avec son précédent film, 'Le Stratège'. Pour les autres continents, nettement moins représentés sur la Croisette, on devra se satisfaire de la présence de la japonaise Naomi Kawase ('Deux fenêtres'), du Mauritanien Abderrahmane Sissako ('Timbuktu'), du Russe Andreï Zvyagintsev ('Leviathan') et de l'Argentin Damian Szifron ('Relatos Salvajes')... Ceci dit, il n'est pas impossible que les meilleures surprises viennent de leurs côtés ; même si le grand favori a priori de la compétition reste le Turc Nuri Bilge Ceylan, avec son 'Winter Sleep' : déjà attendu avec impatience l'année dernière, ce nouveau long métrage fera suite à l'excellent 'Il était une fois en Anatolie', Grand Prix du festival en 2011. En somme, une belle compétition en vue. On prend les paris ?
Festival de Cannes, du 14 au 25 mai 2014
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