Dans le monde du cinéma, Christopher Nolan constitue un pont singulier entre films grand public et vision d'auteur. A 44 ans, le réalisateur né à Londres est parvenu à renouveler brillamment le genre du film de super-héros avec sa trilogie The Dark Knight, sans jamais se départir de l'intelligence affûtée de ses premiers longs métrages, tels Memento ou Insomnia. Avec Interstellar, il emmène aujourd'hui Matthew McConaughey et Anne Hathaway à travers l'espace, pour un voyage homérique au cours duquel deux astronautes doivent trouver une nouvelle planète où héberger une humanité en danger d'extinction. Rencontre avec le réalisateur à Los Angeles.
Après quatre changements de date de sortie, "attendu avec impatience" ne suffisait pas à qualifier ce Tenet de Christopher Nolan. Zen, l'ex-joueur de la National Football League (NFL), star du film BlacKkKlansman et fils de Denzel, John David Washington ne semble pourtant pas ressentir la pression d'être aujourd'hui LA tête d'affiche du film qui pourrait bien sauver le cinéma. Ayant vécu le confinement comme nous tous ("Routine. Films. Documentaire sur Michael Jordan. PS4"), le voici pourtant sur le point d'entrer sous les feux de la rampe. "Passer de Spike Lee à Christopher Nolan ?", dit-il. "C'est le pied".
L'autre grosse tête d'affiche du film, Robert Pattinson, raconte qu'il était enfermé dans une pièce lorsqu'il a lu le scénario de Tenet pour la première fois. Quelle a été votre expérience ?
Pareil ! Ils m'ont filé à boire, donc ce n'était pas comme une panic room. Mais je me souviens avoir lu le titre, puis le nom, et j'ai pensé à [Christopher Nolan] en me disant : "Oh mon Dieu, ça ne peut pas être réel." J'ai sorti mon iPad, j'ai mis de la musique classique et j'ai commencé tranquillement à lire tout ça.
Vous deviez avoir l'impression d'être dans un film de Christopher Nolan...
Je pense que ce serait un peu cliché de dire ça, mais en tout cas, c'est ce que j'ai ressenti. Ca paraissait irréel, vous imaginez : passer d'un casting puis immédiatement à l'obtention du job. Je viens de la NFL et dans ce sport, je sais que tout peut s'arrêter à tout moment. Je pensais qu'à un moment donné, ils allaient débarquer en me disant : "Ouais en fait, c'était juste un test."
Vous avez compris le scenario ? Les gens se disputent encore à propos d'Inception.
Je pense que dans mon excitation, j'ai eu le sentiment erroné de croire que je comprenais tout. Après quatre heures et demie, je me suis même dit : bon, là c'est clair, j'ai pigé ! [Rires] Puis, quand j'ai parlé à [Nolan], il m'a demandé de lui expliquer, et je n'ai pas pu l'exprimer de façon cohérente - c'était très compliqué. Mais j'ai senti que je comprenais parfaitement les personnages.
J'ai entendu dre que votre réalisateur sur The Old Man and the Gun, David Lowery, vous a emmené faire du karting quand vous vous prépariez pour son film. Quel a été votre point d'accroche avec Christopher Nolan ?
Notre amour du cinéma. Nous avons parlé de notre adoration pour Star Wars par exemple, et il connaissait un super documentaire que j'ai aimé en grandissant : Hoop Dreams. Et puis, nous sommes tous les deux issus de grandes familles et nous avons beaucoup parlé de ça.
En 2020, ça représente quoi de mettre un afro-américain en tête d'affiche d'un blockbuster ?
Ca, je le dois à tellement d'aristes afro-américains avant moi. Il est définitivement plus accepté de faire jouer des Afro-Américains dans une catégorie de films où on a été tant boudé. Mais je n'ai pas pensé à ça en abordant ce film. Ce n'était écrit nulle part dans le scénario qu'il fallait qu'il soit "noir d'une trentaine d'années" - et Chris et moi, nous n'en avons jamais discuté. Mais je suis fier d'avoir été choisi pour ce type de film, je peux vous le dire.
Vous êtes sur les plateaux de tournage depuis que vous avez joué dans Malcolm X quand vous étiez gamin. Est-ce que vous avez l'impression qu'ils sont plus diversifiés ?
Cela dépend du plateau. J'aimerais encore voir plus de visages de couleur, hommes ou femmes, sur les plateaux... Mais ça avance.
Vous avez passé une journée à travailler avec Michael Caine. Comment était-ce ?
C'était excitant. Entre "action" et "coupé", tout ce qui me passait par la tête, c'était : "Sir Michael Caine me parle !" Je comparerais presque ça au jour où on a fait le double travelling pour Spike Lee, parce que c'est SA signature. Quand vous êtes assis en face de Michael Caine dans un film de Chris Nolan, c'est pareil : c'est tout aussi mythique. J'étais comme un petit enfant.
Vous avez été nominé pour un Golden Globe pour BlacKkKlansman. Racontez-nous cette soirée.
Ce qui est cool, c'est d'avoir eu ma mère et mon père présents pour me soutenir lors de ma première cérémonie de remise de prix. C'était un peu surréaliste. Aussi, faire les cent pas, répéter [sur le tapis rouge] et voir Julia Roberts venir vers moi... Dans ma tête, elle ne marchait même pas, elle flottait juste un peu. Elle m'a vu et m'a dit : "Oh mon Dieu, salut ! Bon, tu viens avec moi" et m'a emmenée jusqu'au bout du tapis. Puis elle s'est retournée et m'a laissé m'installer. J'ai baissé la tête et j'ai marché jusqu'au bout de la file parce que j'étais trop gêné de couper tous ces gens... Puis j'avais Spike Lee à ma droite, ma mère à ma gauche et mon père à sa gauche. Je n'oublierai jamais ce moment.
Est-il vrai que, enfant, vous aviez l'habitude de cosplayer le soldat Trip, le personnage joué par Denzel dans Glory ?
Oui, c'est vrai. Je me souviens encore de certains discours de mon père dans le film. Quand j'avais huit ans, je connaissais chaque mot. J'ai eu un costume bleu pour Noël, un petit fusil et un chapeau.