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Emma Dante : Je voulais raconter l’histoire d’une famille unie. Et surtout, je voulais que cette union reste éternelle, que même après la mort les membres de cette famille restent ensemble. Quand j’ai décidé d’écrire cette histoire, j’avais en tête l’image du rite, de la cérémonie. Je pensais à cette cérémonie d’adieu à laquelle allaient participer enfants et parents, vivants et morts. L’écriture du spectacle s’est déroulée sur deux ans. Avec les comédiens, nous nous sommes retrouvés une quinzaine de fois à l’occasion d’étapes de travail que j’aime appeler des « laboratoires ». Le but de ces séances était de construire le caractère des personnages, leurs particularités mais aussi d’élaborer leur langue, commune à tous. Un langage qui naît des différentes étapes pendant lesquelles nous improvisons beaucoup. Les histoires s’écrivent en fonction du corps des acteurs.
La mort est au centre de la pièce.
Le culte de la mort est très présent à Palerme. Ici, lorsqu’une personne perd un être cher, il s’habille en noir, en souvenir de la personne disparue. Alors que, a contrario, lors de l’enterrement, les morts portent leurs vêtements.
Comment ‘Le Sorelle’ est-il devenu dansé ?
Cela fait des années qu’avec la compagnie, nous travaillons le geste. Les Siciliens sont d’ailleurs bien connu pour cela, parce qu’ils bougent quand ils parlent, parce qu’ils accompagnent la parole avec le mouvement. Dans la rue, on peut voir des gens danser, alors qu’ils ne font que parler. Et plus ils mettent de passion dans ce qu’ils disent, plus ils dansent. A force de voir au quotidien cette danse dans ma ville, j’ai été imprégné et j’ai élaboré un langage gestuel qui, pour moi, n’est pas une forme de chorégraphie mais une danse née avec la parole, de l’improvisation. Le geste vient de la parole et la parole naît dans le geste.
Est-ce différent de jouer en France ?
Quand je joue en Italie, je me sens protégée. Je suis avec un public qui me suit depuis des années, qui connaît mes spectacles, qui peut me pardonner si je fais une erreur dans une création. En France, mes spectacles sont diffusés avec des surtitres, en Italie ce n’est pas le cas. A Milan par exemple, c’est très difficile (ndlr : les spectacles d’Emma Dante sont en dialecte sicilien). Je voudrais amener les Italiens à comprendre la langue de leur pays, même si cette langue n’est parlée qu’en Sicile. La langue du peuple est une langue importante. C’est un patrimoine qu’il faut conserver.
C’est un acte presque militant ?
Oui, tout à fait. C’est militant. Mais il est essentiel de rappeler que je fais avant tout un travail de recherche et que mon approche n’est pas folklorique.
Portrait © Carmine Maringola
Photographie du spectacle © Christophe Raynaud de Lage