'Les Amants électriques'

Interview • Bill Plympton

Le film du mois par Trois Couleurs : 'Les Amants électriques' de Bill Plympton

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Bill Plympton est le parangon du cinéaste indépendant. Producteur, scénariste et réalisateur, le New-Yorkais assure également la totalité de l'animation de ses films. Résultat : la moindre rature des « plymptoons » vibre au rythme des émotions de leur créateur. Dans ses neuf précédents longs métrages d'animation, parmi lesquels les cultissimes 'L'Impitoyable lune de miel' ou 'The Tune', Plympton nous avait ainsi dévoilé ses tripes, éventuellement les recoins les plus malfamés de son cerveau. Avec 'Les Amants électriques', il nous ouvre son cœur.

Comment sont nés 'Les Amants électriques' ?

Il y a quinze ans, j'ai vécu une histoire d'amour passionnelle. Mais la colère s'est immiscée dans notre relation, et nous sommes arrivés à un degré de haine tel que nous voulions nous entretuer, alors que, paradoxalement, nous cherchions toujours à coucher ensemble. Cette dualité entre désir et haine m'a fasciné. J'ai alors imaginé cette histoire d'une femme qui reste si attirée par son ex-amant qu'elle accepte d'être cocue, du moment qu'elle profite de l'adultère, même si c'est par procuration, en changeant littéralement de corps.

Si cette histoire est inspirée de votre vie, pourquoi avoir choisi de la raconter d'un point de vue féminin ?

J'ai l'impression que si la mode féminine est si prégnante dans nos mondes occidentaux, c'est aussi parce que les femmes cherchent quotidiennement à se métamorphoser, à travers le maquillage et les vêtements, pour satisfaire le besoin de variété de leur conjoint. Choisir une femme comme personnage principal me permettait d'aborder cette idée en sous-texte. C'est d'ailleurs la première fois que je m'attache à créer des personnages psychologiquement assez complexes. Du coup, les spectateurs et les critiques saluent les qualités d'écriture des 'Amants électriques'. Ça me fait bizarre, je ne suis pas habitué à ça.

Parlons justement de votre processus d'écriture. Puisque vous concevez tout votre film, dans quelle mesure votre scénario évolue-t-il pendant que vous le mettez en images ?

Mon « scénario » initial se résume à une série de phrases qui répertorient et organisent mes idées et envies. Je dessine ensuite un brouillon de story-board : ce sont de minuscules vignettes qui représentent le déroulement du film et que je peux modifier rapidement. J'ai dessiné trois cents pages d'une dizaine de vignettes pour 'Les Amants électriques'. Ensuite, je refais la totalité du story-board pour affiner l'histoire : cette fois, les vignettes sont plus grandes et détaillées, et j'y ajoute des annotations pour la lumière ou les bruitages. Enfin, je commence l'animation.

L'apparence de vos personnages évolue-t-elle durant ce processus ?

Oui, parce que plus vous dessinez un personnage, meilleur il sera. Vous allez simplifier ses lignes, rendre sa silhouette plus élégante, c'est presque comme une sélection naturelle. J'estime qu'il faut dessiner environ trois cents fois un personnage principal avant de pouvoir l'animer.

Vous arrive-t-il d'être surpris par l'évolution de vos personnages ?

Non, car ce processus s'effectue de façon viscérale : tous les personnages font partie de moi, j'évolue en leur compagnie. Et vice versa. Par contre, durant la création du film, je trouve de nouvelles idées qui peuvent m'étonner. Dans une scène, par exemple, le méchant se pince les tétons. En les dessinant, j'ai eu l'impression que leurs petits orifices ressemblaient à des bouches cramoisies. J'ai alors eu l'idée de faire hurler les tétons pour retranscrire la douleur qu'éprouve le personnage.

Qui fait les voix de vos personnages ?

Moi, la plupart du temps. Vous voulez un exemple ? [Il se met à imiter le personnage de Jake en plein coït, ndlr]. Comme vous pouvez le voir, nous ne sommes pas chez Pixar. Je ne pourrais pas faire un film pour les gamins, il me faut de la passion, de la violence, du sexe, de l'amour.

Ce qui ne vous empêche pas d'être ami avec John Lasseter [réalisateur de 'Toy Story', '1001 pattes', 'Cars', et directeur artistique des studios Pixar et Disney, ndlr].

Je l'ai beaucoup fréquenté à l'époque de ses premiers courts métrages, lorsqu'il était dans une misère noire. Je le vois moins maintenant, il est trop occupé.

Mais si Lasseter vous donnait carte blanche pour travailler chez Pixar, vous accepteriez ?

Absolument ! Même s'il y a beaucoup de règles avec eux, travailler chez Pixar me permettrait de toucher un public plus large. Malheureusement, mes films sont cantonnés au circuit art et essai. Et voilà le résultat : John est aujourd'hui l'un des artistes les plus riches du monde, et moi l'un des plus pauvres (rires). Mais que voulez-vous, je n'ai pas eu de mécène comme Steve Jobs, moi !

Mais vous avez Kickstarter. Parlez-nous de votre campagne de financement participatif...

Lindsay Woods, ma directrice artistique, a mis au point une technique de colorisation par ordinateur qui rappelle les aquarelles que je pouvais faire à l'époque où je travaillais comme caricaturiste pour le New York Times ou pour Rolling Stones. Mais ça demandait du temps, du personnel, et donc de l'argent. Ce qui m'a conduit à lancer une campagne Kickstarter pour financer la mise en couleur des 'Amants électriques' avec, comme d'habitude, plusieurs degrés de récompense, selon l'importance des contributions. Le plus haut niveau donnait droit à un dîner en ma compagnie. Mais personne ne l'a pris, je pense que les gens avaient peur que je fasse des choses sexuelles étranges avec la bouteille de vin. En tout cas, ce fut un véritable carton. Le financement participatif est un nouveau champ des possibles pour moi. Avant, j'aurais été obligé de composer avec un investisseur. Là, ce sont mes fans qui m'ont financé, et tout ce qu'ils veulent, c'est que ma vision reste intacte. 

N'aviez-vous pas peur d'obtenir un résultat trop synthétique en choisissant une mise en couleur par ordinateur ?

Déjà, je n'avais pas le choix : faire les aquarelles à la main aurait été bien trop long et bien trop cher. Ensuite, les couleurs ont été posées à l'ordinateur, mais nous avons scanné de vraies aquarelles pour les créer. Enfin, j'ai bataillé avec mon équipe pour qu'ils conservent mes ratures et mes erreurs. Je cultive mes défauts, c'est ce qui rend mon travail humain. C'est pour ça que je dessine avec des crayons à papier : ils laissent voir toutes mes hésitations. Et puis, de cette façon, j'ai besoin de peu de chose pour travailler. Ces jours-ci, dans ma chambre d'hôtel, je planche à l'animation de mon prochain film, un « documenteur » sur Hitler. Il adorait Disney, et j'essaie d'imaginer de quelle manière il aurait évolué s'il était devenu un réalisateur de films d'animation.

Justement, comment voyez-vous l'évolution de votre médium ?

Nous vivons une période enthousiasmante. L'animation est en train de prendre le pas sur Hollywood, même si les studios continuent à cantonner cet art aux films pour enfants. Même un film comme 'Gravity' peut être considéré comme un film d'animation, puisque la majeure partie du film est créée et animée par ordinateur. De plus, je vois autour de moi de jeunes mecs qui se lancent dans le métier en essayant tout un tas de choses. J'ai même vu un formidable court métrage créé uniquement avec des épingles. Cette montée en puissance est logique : l'animation est une forme d'expression qui n'a aucune limite. Un artiste peut faire ce que bon lui semble, tout en gardant la mainmise sur la totalité de son œuvre. L'animation, c'est l'art ultime.

'Les Amants électriques', de Bill Plympton.
En salles depuis le 23 avril.

Propos recueillis par Julien Dupuy pour Trois Couleurs.

Poursuivre sur www.troiscouleurs.fr

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