Listen Up Philip (Un film réalisé par Alex Ross Perry, prix du jury)
Un film réalisé par Alex Ross Perry, prix du jury

Au cinéma, les rôles un brin diaboliques ont toujours la côte. Et pour cause ! Que ce soit Jean Yanne dans ‘Que la bête meure’ ou Jack Nicholson dans ‘As Good As It Gets’, les vrais salauds sont (la morale nous pardonnera ce jugement qui ne peut bien valoir qu’au cinéma ou en politique) les plus beaux êtres que l’on puisse voir apparaître à l’écran. Fabuleux affabulateurs, culpabilisateurs sans faille, atroces cœurs de pierre dont l’ethos a moins de valeurs qu’un bouquet de ronces, ces personnages maléfiques portent en eux tout l’égo nécessaire pour « crever l’écran », selon la formule consacrée. Alex Ross Perry l’a bien compris, lui qui a décidé de nous en servir une double dose dans ‘Listen Up Philip’, comédie indépendante américaine tournée en 16mm, qui voit Jonathan Pryce et Jason Schwartzman rivaliser d’esprit, de franchise et de grotesque.

Cet empilement de défauts, le jeune réalisateur est allé le puiser directement dans la culture humoristique juive new-yorkaise. Les références, dans l’humour, sont ainsi à chercher du côté de Philip Roth, Woody Allen ou Jerry Lewis, quand l’image elle, aime à citer Cassavettes dans les innombrables close-up composant le film. Beau, celui-ci l’est également dans sa narration, ses dialogues et un sens photographique à faire pâlir ‘L’Affaire Thomas Crowne’ de Norman Jewison, aussi orange et marron que peut l’être une déclaration d’amour au cinéma juif new-yorkais des années soixante-dix. Le rythme, lui aussi, trouve ses racines dans un cinéma passé, et rappelle les chefs d’œuvres de Billy Wilder, ‘One, Two, Three’ en tête.

Esthétisant et rétro (comme l'était déjà son sous-estimé et enthousiasmant 'The Color Wheel'), le cinéma d’Alex Ross Perry ne manquera pas d’être comparé à celui de Wes Anderson. Proches sur quelques points, les deux cinéastes semblent pourtant diamétralement opposés quant à leur façon de filmer. Tandis que les œuvres du Texan vivent du perfectionnisme sans faille de leur réalisateur, ‘Listen Up Philip’ paraît aussi spontané que son génial second rôle masculin, Jonathan Pryce, dont la complicité avec Schwartzman – dans l’odieux, vous l’aurez compris – ne pourrait nous ravir davantage. Simple et sans autre prétention que d’être beau et drôle, ‘Listen Up Philip’ remplit parfaitement sa mission, tout en perpétuant une tradition cinématographique que les récents Woody Allen peinent à transmettre. Preuve en est : le film a reçu le prix du Jury à Locarno. Un élève qui dépasse son maître, ni plus, ni moins.

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Éclectique et expérimental, le festival du film de Locarno l'est par nature. Mais il ne perd pas pour autant une occasion de le rappeler par quelques effets de cape dans sa programmation. Cette année, entre la projection en ouverture du film 'Lucy' de Luc Besson et le Léopard d'or attribué à l'œuvre philippine de 5h38 minutes 'Mula sa kung ano ang noon', le monument tessinois n'a pas manqué d'exhiber fièrement ces deux qualités, que les nominations de films comme 'Navajazo' et 'Cavalo Dinheiro' ont également pleinement justifié. En récompensant des films performatifs, tantôt violents par leur durée, les images montrées ou les choix de mise en scène, ce festival a, plus que tout autre évènement du genre, cherché à communiquer avec son public, mais aussi confirmé des tendances à venir dans le cinéma, notamment le croisement montant entre documentaire et fiction, déjà très à la mode dans les genres artistiques écrits.

Du côté des primés, dans les deux catégories phares, un seul film français a eut droit aux honneurs, avec le meilleur rôle féminin pour Ariane Labed. Présenté hors concours, 'Fils De' d'HPG nous a conquis, tandis que 'Marie Heurtin', de Jean-Pierre Améris, a lui été récompensé par le magazine Variety dans la catégorie 'Prix du public', qui a vu le suisse Peter Luisi remporter le vote des spectateurs pour 'Schweizer Helder'. 'Durak', 'Listen Up, Philip', 'Cavalo Dinheiro' et 'Ventos de Agosto' complètent le podium du concours international, respectivement pour le meilleur rôle masculin, le prix du jury, le prix de la réalisation et la mention spéciale, tandis que dans la catégorie cinéma du présent, la violence de 'Navajazo' et 'Buzzard' ont fait mouche. Luc Besson, lui, repartira bredouille du festival...

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