Inutile d'en tartiner des caisses sur l'urinoir – pardon, la Fontaine signée R. Mutt – de Marcel Duchamp : depuis le milieu du XXe siècle, la majeure partie de l'art contemporain s'échine à courir après ! Souvent péniblement d'ailleurs ; c'est même tout le problème. Car en s'affranchissant de l'ensemble des conventions et valeurs admises jusqu'à lui, l'ex-Dada pince-sans-rire a réussi à plonger le milieu de l'art dans une aporie que ses multiples – et paresseux – suiveurs (Hirst, Koons et leurs comparses) ne sont pas près de résoudre. Encore faudrait-il qu'ils en aient envie...
A sa décharge, le peintre du Nu descendant un escalier n'imaginait probablement pas qu'on parlerait encore de ses géniales potacheries plus d'un siècle plus tard. Provocation, geste pré-punk ou ironique os à ronger lancé à la critique, beaucoup d'encre aura tout de même coulé sur (dans ?) cette inévitable pissotière, inscrite désormais dans l'histoire, à tort ou à raison, comme l'estocade fatale à une certaine idée de la modernité. Pourtant, réduisant à néant la doxa artistique et ses aspirations au sublime comme au laid, Duchamp prétendait simplement rechercher, à travers ses ready-made, un état d'indifférence tranquille, une distance je-m'en-foutiste, qui aura pesé à sa suite comme un ricanement sur toute velléité expressive ou sensible.
Bref, Duchamp aura effectivement détruit l'art à la papa avec son intelligence dévastatrice, son sourire de vieux maître zen et son œil de gosse insolent. Incontournable, il a le charme d'avoir été le premier à envoyer au diable toute transcendance ou critère de goût, comme toute autorité en matière d'art ; ce pour quoi on ne saurait que lui être reconnaissant. D'autant qu'il reste immanquablement l'un des artistes (au moins français) les plus cool du siècle dernier, qui aura donné au XXe siècle sa Joconde. Sur laquelle il nous invite à uriner, même.
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