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Surnommé “Lo Spagnoletto” (“le petit Espagnol”), Jusepe de Ribera (1591-1652) débarque en Italie à 15 piges, baluchon sur l’épaule, avec un seul but : s’imposer sur la scène napolitaine comme l’un des maîtres de la peinture d’après nature. Largement inspiré par Le Caravage, le peintre se détache de son mentor par un traitement plus sombre et plus radical des sujets explorés. Chez Ribera, le clair-obscur révèle la souffrance humaine, la violence de la chair et fait vaincre les ténèbres sur la lumière céleste. C’est la naissance du ténébrisme et on vous prévient : c’est pas très gai.
Grand oublié des héritiers du Caravage dans les bouquins d’histoire de l’art, cette importante figure de la Renaissance est réhabilitée à travers un parcours thématico-chronologique riche de plus d’une centaine de peintures. Le Petit Palais met en bombe l’Espagnol dans une scénographie aux murs rouges pensée pour maximiser l’impact visuel et émotionnel des œuvres de Ribera. On découvre, entre dégoût et fascination, l’univers bien dark du peintre. Le Martyre de saint Barthélemy (1624), un vieillard écorché vif, côtoie un Saint Jérôme décharné (1626) ou pénitent (1634), des mendiants et des pommes pourries, tandis que les habitués du Louvre reconnaîtront l’exceptionnelle Mise au tombeau (1628-1630), le tout ponctué de travaux préparatoires et de gravures faisant la part belle au talent graphique de l’Espagnol.
Assez classique dans son traitement, le parcours laisse les œuvres s’exprimer et donne les clés pour comprendre la filiation caravagesque de Ribera, et la manière dont il s’en est éloigné. Le réalisme de chaque toile est tellement saisissant que l’expo en devient immersive, et on sent presque l’odeur de la chair en décomposition de salle en salle.
Tout ce dont une femme a besoin pour écrire, c’est “de l'argent et d’une chambre à soi”, disait Virginia Woolf. Qu’aurait-elle pensé de notre ère où l’intime ne se conçoit plus derrière une porte fermée, mais dans un téléphone ouvert sur le monde ? C’est la question que pose le musée des Arts déco en dressant un état des lieux de cette notion complexe qui a tant évolué avec les époques. À travers 12 thématiques, L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux nous plonge au cœur d’un voyage historique délicieusement indiscret. Ponctué de petites pièces reconstituées – la chambre, la salle de bains ou les toilettes –, le parcours multiplie les objets inédits pour parler d’un concept on ne peut plus humain : ce besoin d’introspection, de soin de soi, qu’il soit physique ou mental.
Des toiles de Pierre Bonnard aux photos de Nan Goldin ou de Zanele Muholi, des artistes très divers s’affichent dans cette expo qui se découvre à travers le trou de la serrure. Si certaines, telle L’Intimité d’Edouard Vuillard (1896), tombent un peu à plat, d’autres, comme le fameux tableau de Fragonard Le Verrou (1777), témoignent de l'intérêt parfois obsessionnel des artistes pour le sujet. Autre coup de cœur ? Les grandes pièces de design rassemblées sous la nef centrale, du lit clos des frères Bouroullec au fauteuil carrément sexy de Gaetano Pesce, La Mamma. Un peu plus laborieuse (et franchement flippante), la dernière partie s’attaque au lourd dossier de l’intime à notre époque, des vlogs tournés dans une chambre d’ado aux systèmes de vidéosurveillance. Une section qui soulève bien des questions sans apporter d’éléments de réponse, faute de recul sans doute.
Rassembler peintures de maîtres, cuvettes de chiottes et screens du compte Insta de Léna Situations pour parler d’un sujet aussi nébuleux était périlleux. Mais comme à son habitude, le MAD relève le défi haut la main et réussit à traiter l’intime dans une expo XXL aussi légère que documentée. Chapeau.
Son nom ne vous dit probablement rien. Superstar de la photo aux Etats-Unis, Barbara Crane reste une inconnue en France. Enfin, ça c’était avant la superbe monographie que lui consacre le Centre Pompidou jusqu'au 6 janvier prochain. Installée dans la Galerie de la photographie, quelques 200 œuvres (dont une partie a récemment été acquise par le musée) reviennent sur les 25 premières années de la carrière de l’artiste originaire de Chicago, décédée en 2019 à l’âge de 91 ans. Et quelle carrière ! A mi-chemin entre la straight photography américaine, l’héritage du Bauhaus et une sensibilité toute particulière, les clichés de Barbara Crane défilent, par séries, et nous plongent dans un univers franchement indescriptible.
Son truc à elle ? L’expérimentation, qu’elle met au service de la série, comme en témoigne Multiple Human Forms, un ensemble de trois clichés réalisés en 1969 dans laquelle la surexposition se met au service de la ligne pour créer une composition quasi-abstraite. Des néons de Las Vegas aux tendres portraits de ses pairs de l’Illinois en passant par les gratte-ciels de sa ville, c’est un portrait éclectique de l’Amérique (et notamment de Chicago) que dresse la photographe. Dire d’elle qu’elle fait de la photo-documentaire serait probablement un peu too much. Et pourtant, à travers des effets de répétitions savamment étudiés - visibles notamment dans la série des Repeats, 1974-1975 - et un goût prononcé pour le détail, Barbara Crane arrive à nous plonger dans l’atmosphère si particulier de sa ville et à se faire le témoin des époques qui l’ont traversée.
Le parcours se déroule sans embûche aucune, sauf peut-être une : c’est trop court. Et oui, découvrir un travail d’aussi grande envergure mériterait bien quelques salles de plus, que la (petite) galerie de la photographie ne nous permet pas d’explorer. Si la conclusion un peu abrupte est à revoir, le reste frôle la perfection et l’on ne peut que regretter que la star de l’expo n’ait pas pu vivre un tel succès en France de son vivant.
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